Aux îles, la nuit a la patte de velours et l’approche
alerte d’un félin ; elle est sur vous à grillonner de
tous côtés, et vous enveloppe de sa toison mordorée avant
que vous n’ayez aperçu la première étoile. J’ignore encore
cela quand je parviens au havre d’amitié promis, et
l’obscurité qui me rattrape me surprend désagréablement. Je
me hâte d’un pas craintif, mal assurée, vers l’abri d’un
lieu aussi vaste et glauque qu’une caverne sous-marine, où
déambulent de furtives silhouettes dans des pulsations de
musique disco. À mesure que mon regard et mon esprit
s’accoutument par degrès à l’ambiance d’aquarium tempétueux
qui prévaut ici, effarée, je prends aussi conscience du
piège où je suis tombée. Car c’est bien une sorte de piège
vers lequel m’a expédiée l’inconnue compatissante…
En toutes circonstances, j’ai l’habitude de dire ce que je
pense et d’appeler un chat un chat, mais il me semblerait
oiseux de m’attarder en détails sur la nudité ostentatoire
des quelques mecs parés de sexes fantasmatiques qui
m’entourent bientôt. Un grand blond me salue d’une brêve
inclinaison du buste, la courtoisie aussi robuste que son
attribut principal. Il prononce quelques paroles
incompréhensibles, il doit être allemand, mais pourrait
aussi bien venir de Mars ; je suis paralysée, idiote
d’effroi, et j’ai toujours été incapable de distinguer un
âne d’un mulet.